dimanche 11 novembre 2018

Rêve 4- La mer le sait

Il jouait souvent près du puits, à côté du cimetière. J’aimais l’y rejoindre, dès que j’en avais le temps, le soir après l’école ou bien le mercredi. Le lieu si calme, un peu à l’écart du village, se prêtait aux secrets partagés, dans la complicité du petit édifice de pierre qui nous emportait loin, dans ce pays à portée de nos rêves. Nous y plongions avec bonheur, sans doute l’un et l’autre pour des raisons différentes. Moi je croyais atteindre le pays de la vérité, celui du savoir, où toute question à sa réponse. Lui, il y était chez lui, tout en étant de notre village, un peu aussi.

J’écrivis mon nom sur la plage.

« Qu’as-tu écrit ? Je ne sais pas lire » me dit-il.

Comment était-ce possible, de ne pas savoir lire ?

« C’est possible, puisque je ne sais pas »

« Alors je vais t’apprendre », proposai-je. Et je commençai à dessiner les lettres de sable qu’il s’employait à prononcer après moi. C’était un jeu dont il se lassa vite. Une vague effaça toutes les lettres.

« Ca ne sert à rien », déclara-t-il

« Ca sert à lire », rétorquai-je

« A quoi ça sert, de lire ? » reprit-il ? Regarde, la mer n’a pas besoin de lettres.

« La mer ne sait pas lire car la mer n’a pas de livres », continuai-je

«  La mer n’a pas de livres car elle n’en a pas besoin. Elle sait déjà tout »

Je ne pus rien répondre. Nous étions au pays de la vérité et du savoir, alors il me restait à tout apprendre, sans livres, seulement de la mer et du vent. Je ramassai un coquillage et m’endormis en écoutant la mer et le vent. Ils me parlaient du monde, des enfants qui jouaient.

Le garçon était là lorsque je m’éveillai.

« Qu’as-tu appris, en écoutant la mer ? » était-il impatient de savoir.

« J’ai appris que tous les enfants sont gentils. Même le gros Denis, qui frappe tout le temps les autres. Son cœur est gentil mais il lui manque l’amour. Il  n’a pas de parents et personne ne l’aime.»

«  C’est quoi, l’amour ? » s’étonna-t-il ?

Ce garçon vivait au pays de la vérité et du savoir et il ignorait ce qu’était l’amour. Je tentais d’expliquer mais n’y parvenais pas. « L’amour c’est quand on est heureux ». Il dut se contenter de cela et je réalisai que je n’en savais pas plus. Alors j’interrogeai à la mer. Les flots murmurèrent des choses incompréhensibles. J’entendis les mots « guerre, et crime », que je connaissais, puis j’entendis « humiliation », que je ne comprenais pas.

« La mer se trompe, l’amour est tout l’inverse de cela !» me révoltai-je.

« C’est que tu ne comprends pas ce que te dit la mer. Ses vagues te disent les nouvelles du monde apportées par le vent. Tu lui as demandé ce qu’était l’amour, elle t’a répondu ce qu’elle entendait du monde. L’inverse de l’amour, dis-tu ? Alors c’est que dans le monde, il n’y a pas d’amour».

« Vous vous trompez tous car moi je connais l’amour. Je sais bien que mes parents m’aiment et chez moi il n’y a ni guerre ni crime ». En disant cela, je me souvins des histoires racontées par maman, qui parlaient de la guerre, des bombes et de la peur . Alors je me mis à réfléchir aux murmures de la mer. Nous étions au pays de la vérité et du savoir alors je voulais tout savoir. Je compris que là où il y avait de l’amour il y avait de la terreur, que l’un ne pouvait se comprendre que par opposition à l’autre. Je donnai cette explication au garçon et il acquiesça.

« Ici il n’y a pas de peur, pas de crime, pas de méchanceté. Nous n’avons pas besoin d’amour puisque tout est déjà bien et parfait. »

« Alors nous devrions tous venir ici, toute l’humanité, et tout le monde serait heureux », lui suggérai-je.

« Non, ça ne se peut pas, ça ne marche pas ainsi. Chacun doit vivre dans le monde qu’il a créé, qu’il a mérité ».

« Je suis venue au monde dans un monde déjà tout fait, je n’ai rien créé, rien mérité »

« Tu es une enfant et tu es déjà en train de créer ton monde. Tu continueras à le transformer et tu décideras ».

« Toi aussi tu es un enfant »

« Moi je ne suis plus de ce monde, je suis de l’autre »

« Ah oui, tu es du pays de la vérité et du savoir. Alors dis-moi comment je dois faire»

« Apprend, écoute la mer et le vent, et tu sauras »

J’entendis comme une voix venue d’ailleurs : « Et toi, Louise, que veux tu faire plus tard ? »

 « Changer le monde ! » M’exclamai-je en me réveillant, déclenchant l’hilarité de la classe.