mardi 5 février 2013

Marthe

Marthe déplie ses lunettes avant de parler. Elle prend chaque branche dans chaque main et les pose, face contre terre avant de les ceindre pour nous dire ce qu' elle vit, en ce moment.
    Elle est une vigie, jumelle du phare du Planier. Tous les jours elle s'assure qu'il est bien là, plusieurs fois par jour même. Et elle lui fait face, comme son complément. Lui se fait repérer, et elle repère. Comme les marins attachent parfois leur vie à cette lueur qui parfois se refuse, elle attache sa vie à un chat, rebelle mais présent, à ces êtres, inconnus, ou à ces lieux, si connus.
    Selon le moment de la journée, Marthe pose son regard sur l'habitude, confirmée ou contredite par un accroc dans la courbe lisse du temps qui passe. La scène, vue depuis l'étage supérieur de son duplex du Corbusier est-elle confirmée par un réexamen contradictoire depuis la loggia inférieure? Ou bien un grain de sable a-t-il grippé pour une fois la mécanique bien huilée du Géant Casino, qui allume ses lumières avant son ouverture, puis les éteint "pour ne pas gaspiller l' électricité" ? Elle interprète, de son échauguette, les silhouettes de ces buveurs sur la restanque d'en face, proche de l 'église de Sainte Anne, et leurs horaires élastiques.
    La mer, elle, est toujours là. Marthe la contemple, le phare les comtemple. Et la mer se contemple elle-même.