jeudi 11 décembre 2014

Rez de chaussée gauche au fond du couloir


C'est au rez de chaussée, c'est pratique car l'ascenseur est souvent en panne.
Au fond d'un couloir plutôt sombre (l'éclairage ne fonctionne pas souvent non plus), mais égayé par de grands tags colorés, la porte n'est jamais fermée à clef. Elle s'ouvre, claque, se referme à longueur de journée.
C'est qu'il ya du monde dans ce logement: Huit enfants, de dix-sept ans à treize mois. Trois garçons, cinq filles. Et leur mère, Tamata, imposante par sa prestance et sa silouhette. Elle ne se pèse jamais, ça casserait la balance, elle enroule ses rondeurs dans un large boubou, et elle passe le plus clair de son temps dans un rocking-chair en bambou, planté au milieu du salon. De là elle peut voir tout ce qui se passe dans la maison, et surveiller aussi la porte. Nul ne la franchit sans son accord. Mais heureusement pour les enfants et leurs copains, il y a aussi la fenêtre de la petite chambre du fond, inaccessible à sa vue, celle-là; c'est pratique, le rez de chaussée.
Dans ses bras, il y a Abou, le dernier bébé, accrochée en permanence à son sein. Celle-là ne lui échappera pas de si tôt.
Mais les autres vont et viennent, crient, chantent, dorment ou dansent à leur guise. De temps en temps, quand Tamata hurle trop fort, ils ouvrent même leurs cahiers de classe.
La seule obligation est d'aller faire les courses et préparer à manger, car Tamata ne bouge plus elle est trop lourde, elle dort même dans son fauteuil.
Alors les garçons vont chez l'épicier du coin, c'est leur rôle, ils remplissent de grands sacs en plastique rayés, ils paient de loin en loin, quand l'un des papas est venu en visite avec quelques billets.
Et les filles cuisinent, la tradition ne doit pas se perdre, des frites, des pizzas, un gombo les jours fastes...
Les jours fastes, justement, ce sont les jours de visites des papas. Ils sont six. Chacun leur jour, car il faut soigneusement éviter qu'ils se rencontrent, ils sont jaloux. Donc le lundi Ali, père de l'ainé, le mardi Moussad, père des deux cadets, et ainsi de suite toute la semaine. Bien sûr chaque père ne vient pas chaque semaine, ils ont d'autres occupations, et puis ça fatiguerait trop Tamata. Kassoum, le père d'Aminata et Abou, ne vient qu'une fois par an, il habite au Nigéria, mais toujours un jeudi, et alors, quelle fête!
Oui, c'est très bruyant,au rez de chaussée à gauche au fond du couloiir, mais dans l'ensemble on y est plutôt heureux.