Est-on sûr de connaître ses voisins ?
Les nôtres avaient emménagé de façon discrète. La maison à
louer était restée longtemps fermée. Un matin on a vu les volets ouverts.
Les nouveaux locataires nous ont paru bien sympathiques. Il
s’agissait d’un couple d’une quarantaine d’années et de leurs trois enfants. Prétextant
les embarras de l’emménagement, ils ont refusé notre invitation à faire plus
ample connaissance autour d’un verre. Quelques jours plus tard, ma femme, qui aime papoter, m’a dit que
la femme travaillait dans un salon de coiffure. J’en fus très surpris car elle
était plutôt du genre mal coiffée. Des cheveux mi-longs, bruns, zébrés de fils
blancs tombaient sur ses épaules sans aucun effort de coiffure.
Mon fils était en classe avec l’ainé de leurs deux garçons
qu’il trouvait charmant. Il lui avait appris que son père était dans l’import-export,
qu’il faisait du télétravail ce qui expliquait qu’on ne le voyait ni sortir le
matin, ni rentrer le soir. J’eus l’occasion de rencontrer ce monsieur, c’était
un homme charmant. Il éluda vite mes questions sur son travail mais me parla
volontiers de sa passion pour la pêche
au gros à laquelle il m’invita pour un jour futur.
Une voisine m’apprit qu’ils venaient du nord de la France,
elle ne savait pas exactement d’où et que la dame n’aimait pas du tout
Marseille, qu’elle avait l’air triste et soucieuse, qu’elle posait beaucoup de
questions sur la fréquentation du quartier parce qu’elle s’inquiétait pour ses
enfants, que c’était, d’après elle, une vraie mère-poule.
Au fil du temps nos
relations avec eux se bornèrent à des bonjours, bonsoirs cordiaux. Leur plus
jeune fils, probablement un futur footballeur, envoyait fréquemment son ballon
dans nos fraisiers. Nous le lui rendions par-dessus le mur de clôture. Nous n’avons
jamais vu sa frimousse pourtant fort agréable d’après ma fille.
Elle faisait du hip-hop avec Lola, leur petite fille âgée de
huit ans. C’était paraît-il une fille douée pour la danse mais très timide.
Quand ma fille l’a invitée à venir à la maison pour qu’elles répètent ensemble
leur chorégraphie, elle a refusé catégoriquement, laissant ma fille surprise et
blessée.
C’est arrivé il y a environ un mois. Nous avons été réveillés
en pleine nuit par des hurlements de sirènes, des claquements de portières, des
piétinements, des cris, des gémissements. Dans la rue, en pyjama, j’appris par
un voisin que le père de famille venait d’être victime d’une fusillade à quelques
mètres de là. La police, toujours futée, pensait à un règlement de comptes.
Le lendemain, nous apprenions par les médias que notre voisin
était un ancien truand qui voulait se retirer des affaires. Son passé venait de
le rattraper. Il n’est pas mort de ses blessures mais il est sorti de l’hôpital
dans un fauteuil roulant.
Ils viennent de
déménager, sans nous dire au-revoir.