Une petite maison à la campagne, une famille simple et
heureuse, pas de confort mais un beau potager. Vous meniez une vie tranquille,
le travail bien sûr mais aussi les voisins, vous vous rendiez service, les
mères échangeaient des conseils de tricot, les pères conversaient sur les
haricots. Et une nuit, la sirène de l’usine vous a réveillés. L’usine, ta
fierté, ta survie, tu regardais les tuiles de toute la
région. « Elles sortent de chez nous celles -là, tu peux avoir
confiance ». Les fours, les poids, tu supportais, tu montrais tes muscles
sous le maillot de corps. Tu travaillais dur, tu nourrissais ta famille, tu
redressais la tête après l’exil. Et là, au milieu de la nuit, les flammes,
l’odeur. Tu pars en pyjama sur les lieux, elle veut te retenir mais tu pars en
pantoufles, les voisins aussi, vous remplissez des seaux, voulez aider, c’est
votre usine, vos vies, vos familles. Vous arrivez tout près de l’incendie, on
vous rejette, c’est pas votre affaire on vous dit, on attend les pompiers,
rentrez chez vous. Mais vous ne pouvez pas, vous êtes figés par l’angoisse,
vous tremblez malgré la chaleur. Quand les hommes du feu arrivent, les flammes
ont tout dévoré, le toit s’est effondré. Vous restez toute la nuit à regarder
hébétés, vous pleurez. Je n’y étais pas mais je vois les larmes de colère, les
larmes de désespoir. Le chomage, la rage, le départ. Tout laisser, les copains,
le jardin. Tu pars chercher du travail ailleurs, tu courbes le dos sous le
poids du destin. Tu la laissée se charger des valises et tu es parti pour la
ville. Je crois que c’est là que tu as perdu ton sourire, dans la banlieue de
la chimie qui devait nous accueillir et où j’ai grandi.