Elle aurait eu 18 ans à Paris. Ses parents, artistes lui auraient
ouvert un monde où elle aurait eu le temps de penser à la vie, à sa vie. Elle
aurait fait du théâtre, de la peinture et de la danse. Très tôt elle aurait
écrit aussi. Elle aurait rencontré des musiciens, des metteurs en scène. Elle
aurait exploré sans se lasser jamais des univers de mots, de gestes, d’émotions.
Elle n’aurait reçu et donné que de la beauté, de la vérité. De celle qui
console.
Elle serait née au 19 ème siècle dans le Montana. A 5 ans
elle aurait eu un poulain. Elle n’aurait jamais appris à lire. Elle aurait aidé
ses parents à s’occuper du bétail. Elle aime les bêtes, leurs yeux paisibles,
leurs museaux doux et chauds. Elle aurait appris à égorger un cochon sans lui
faire peur, ni mal. Elle aurait galopé des journées entières dans les plaines Elle
aurait eu 6 enfants. Ils auraient été libres, pied nus, cheveux en bataille, en
salopette et toujours barbouillés de confiture. Le travail, les saisons, les fêtes,
12 petits enfants. Elle aurait vécu sans trouble et puis elle serait morte
entourée de toute sa famille parce qu’il était temps, et qu’il neigeait. Près
de la fenêtre, son petit fils préféré jouait doucement du banjo.
Elle aurait pu aussi naître en Mongolie. Elle aurait galopé
dans le vent et l’espace immense, ouvert. Elle aurait fait l’amour en plein air
avec un chaman. Celui qui fait pleurer les chameaux. Elle n’aurait jamais
appris à lire parce qu’elle n’aurait jamais su ce que pouvait être un livre
Si elle avait eu la terrible malchance d’être un garçon de
20 ans en France en 1960. Il serait parti en Algérie, sans avoir rien compris.
Là-bas, avant d’être avalé par l’horreur, il se serait laissé glisser dans la
mer, à l’aube, après avoir dormi une nuit dans les ruines chaudes de Tipasa et
le parfum des immortelles.