mercredi 23 octobre 2013

La chambre bleue


Entre quatre murs, une pièce peu spacieuse. Aucune porte, aucune fenêtre, aucune issue. Au centre de ce décor, un lit muni de quelques draps qui, autrefois, avaient du adopter une couleur immaculée, et qui à présent, abordaient un gris délavé, usé par le temps. Seul mobilier de cette pièce confinée, dont les murs d'un bleu semblable à un ciel d'été rendait ce lieu plus vivant, plus chaleureux. Il en était de même pour le parquet grinçant sur lequel reposait le lit, prêt à défaillir d'une seconde à l'autre. Cependant, le bleu qui composant le sol se trouvait être plus sombre, plus sinistre, en totale contradiction avec la couleur vive des murs. Ces murs imposants qui paraissaient infranchissables, scellant ce lieu à jamais. Et ce sol si incertain, qui grinçait à la moindre brise de vent qui parvenait à s'infiltrer dans cette chambre si peu commune. Ce bleu qui emplissait la pièce, rappelait le ciel qui nous éblouissait le jour, et celui bien plus sombre, qui enfermait le monde dans une obscurité totale...

Au sein de ce décor bleu, au coin d'un angle de la pièce, une jeune fille recluse se trouvait là, recroquevillée sur elle-même, la tête nichée au creux de ses genoux. Elle se balançait d'avant en arrière, et ce, depuis des heures, et même des jours. Complètement indifférente à la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle demeurait ainsi depuis une éternité. Par moment, elle raclait machinalement le parquet grinçant de ses ongles jaunâtres, aux longueurs démesurées. Vêtue d'une simple nuisette pâle, elle était frêle, et paraissait si fragile, si démunie. Elle ne nous inspirait que pitié. La peau sur les os, elle ne devait rien avoir avalé depuis des jours, si ce n'est quelques croûtons de pain, qui ,abandonnés sur le sol, ne donnaient aucunement l'eau à la bouche. De temps en temps, la jeune fille relâchait la pression de ses bras enserrant ses genoux, et, dans un soupir inaudible, elle soulevait le visage, encore dissimulé sous une cascade de cheveux or. D'un geste lent et fébrile, elle retirait de son visage sa longue chevelure crépue, nous laissant entrevoir deux yeux d'un bleu azur, qui comme fous, balayaient la pièce sans un arrêt, ne se fixant jamais sur un seul et même point bien précis. Mais, soudainement, un changement radical d'attitude saisissait l'étrange jeune fille et se levant d'un bond, elle laissait son regard se perdre dans la couleur vive qui composait les murs. Comme obnubilée, elle ne parvenait à en détacher son regard, qui s'accrochait désespérément à cette vision. Qui sait, cette couleur lui rappelait probablement le ciel azur qui éblouissait les journées. Des souvenirs affluaient alors, la condamnant à se souvenir inlassablement de la liberté, qui, autrefois, lui appartenait...
« Autrefois ». Ce seul mot qui se glissait entre ses milles pensées l'obligeait à affronter une nouvelle fois la vérité. Elle demeurerait pour l'éternité dans cette cage bleue. Son regard dérivait alors fatalement vers la sombre couleur du parquet, et l'emprisonnait une ultime et dernière fois dans l'obscurité de la nuit, elle s'y abandonnait, et regagnait son coin isolé, où elle passait ses journées depuis si longtemps...

"Je suis si faible. Je me laisse ainsi enfermer depuis tant de temps. Si le courage et l'espoir vibraient encore en moi, je lutterais pour accéder à cette liberté que je désire ardemment. Mais, ils m'ont tout enlevé. Dès l'instant où j'ai été abandonnée dans cette pièce, tout m'a quitté. Il me semble que cela fait des lustres que je n'ai pas aperçu la lumière du jour. Que le soleil n'a pas caressé ma peau pâle avec douceur, tandis que le vent n'a pas secoué quelques unes de mes mèches or. Je rêve d'un repas digne de ce nom, comme on m'en servait durant ma plus tendre enfance. A l'époque où le monde se préoccupait encore de mon existence. Je me souviens de ma mère qui me concoctait bien des plats goûteux dont je raffolais. Elle m'engraissait jour après jour, ne souhaitant que mon bonheur. Elle y parvint, durant un temps. Mais, le bonheur n'est qu’éphémère, et lorsqu'elle me fut enlevée, la joie qui m'envahissait m'avait littéralement abandonné. Toute émotion positive n'était plus, remplacée que par un champ de désolation et d'effroi.
 Le premier jour, c'est à peine si je parvins à réfléchir clairement, la peur de cet isolement me broyant de l'intérieur. J'ai cru mourir de cet effroi si douloureux et si tenace. Mais, mon cœur tambourinait inlassablement dans ma poitrine, me signifiant que je vivais, et que je vivrais cet enfer jusqu'à ce que la faucheuse ne toque à ma porte.
A présent, je ne suis plus qu'un amas d'os empilé qui tient à peine encore debout. A l'égal du seul mobilier qui compose cette pièce, je vais défaillir d'une seconde à l'autre, pour pousser mon dernier et ultime soupir... Je fixe avec dégoût les croûtons de pains rassis abandonnés sur le plancher, si peu goûteux, incomparables aux plats si délicieux auxquels j'avais droit lorsque mon monde ne s'était pas encore écroulé. Je tente de puiser un maximum de force pour pouvoir me battre contre cette fatalité.
 Pour pouvoir rappeler au monde que j' appartiens toujours.
Je veux raviver la flamme de l'espoir. Je suis comme une moisissure collée au talon d'une chaussure. Une moisissure qui dépérit à vue d’œil, mais qui demeure toujours bien présente. Ils auront beau m'enfermer pour tenter de m'oublier, je serais toujours là. Prête à me déchaîner contre l'injustice de la vie. Prête à faire entendre ma voix. Peu importe les murs qui se dresseront face à moi, je les abattrais tous en un hurlement strident ! 
Et, alors, le monde se souviendra de moi...
Du moins, si je parviens un jour à lever ma carcasse du plancher, et à retrouver l'usage de la parole.