mercredi 1 mai 2013

Double-vie



Tout le monde croit que je me couche tôt. Après 21 heures, plus de visite, plus de coup de téléphone.
En fait, je suis insomniaque. Dès que tout le voisinage est devant la télé, je me glisse hors de chez moi et plonge dans l'obscurité des rues de la banlieue. Bottes, jean et blouson, bonnet de laine sur la tête, grandes enjambées, démarche d'homme, c'est plus prudent.
Je veux voir, voir comment vivent les autres, ceux que je ne connais pas, ceux qui me font un peu peur.
J'avance, à l'affût, m'arrête devant un volet entrebaillé. Une famille vit là. Que puis-je deviner? Que puis-saisir? Une engueulade, une étreinte, une baffe qui retentit sur la joue d'un gosse?
Peu à peu toutes les fenêtres s'éteignent. Mais il y a les autres rôdeurs de la nuit. Des jeunes, en bandes, avec des chiens. Des flics en voiture.
Des pêcheurs au bord de mer toute la nuit. Des corps couchés sur la plage, pelotonnés.
Les odeurs de la nuit, la saleté que l'on ressent sans la voir.
Vers 3 heures, tous les matins, un chien me rejoint, un grand chien noir avec une seule oreille et des yeux jaunes. Il m'escorte. On galope tous les deux. Quand brusquement il me quitte, je sais qu'il est l'heure de rentrer, avant que passent les poubelles.
Je range mes vêtements dans un grand sac en plastique, prends une douche comme si je me levais, téléphone à mes enfants: Tu as passé une bonne nuit? Et vous?
L'après-midi je fais la sieste.