mercredi 20 novembre 2013

Parce que c'est un homme

Il aura fallu ce 11 novembre 2013 pour que me revienne le souvenir de toi.
Je l’ai pourtant bien connu. Il était cet homme de peu de mots,  cet homme si effacé, qui tenait si peu de place que sa vie n’a presque pas laissé de trace.
Le 11 novembre 1918 il devait avoir 20 ans et il avait survécu. Il avait pu connaître la fin du massacre. Pas de gloire pour les survivants.
Moi, je me souviens de ce jour au cœur de l’hiver 1917. Le ciel est bas, le froid impitoyable. Aucun oiseau ne chante plus. Il sort de la tranchée tout habillé de boue et de vermine. C’est son tour. Il doit aller chercher de l’eau vingt mètres plus loin. Vingt mètres de terreur, de boue, de sang c’est très loin. Des racines serrent ses godillots béants, la peur lui tord le ventre, ses bidons vides sont lourds. Enfin voilà le chant de l’eau qui court. Bientôt il y sera à cette source d’eau miraculeusement claire et vive à l’orée de cette forêt nue. A la source il a vu une silhouette. A la forme du casque il a su que c’était l’ennemi, comme lui armé, comme lui terrifié, comme lui obligé, bon à tuer. Envie de se coucher, de poser ses bidons. Il fait un pas de plus, il s’arrache de la boue encore un pas de plus. Il voit le visage de l’homme, il y lit sa mort. Mourir ce jour de noël. Oui, ça va se passer comme ça. Lequel des deux a, le premier, levé la main et souri. Il ne savait plus bien mais moi je sais que c’était lui. Ce grand père qui ne m’a pas donné son sang mais simplement son amour quotidien.