Il aura fallu ce 11 novembre 2013
pour que me revienne le souvenir de toi.
Je l’ai pourtant bien connu. Il
était cet homme de peu de mots, cet
homme si effacé, qui tenait si peu de place que sa vie n’a presque pas laissé
de trace.
Le 11 novembre 1918 il devait
avoir 20 ans et il avait survécu. Il avait pu connaître la fin du massacre. Pas
de gloire pour les survivants.
Moi, je me souviens de ce jour au
cœur de l’hiver 1917. Le ciel est bas, le froid impitoyable. Aucun oiseau ne
chante plus. Il sort de la tranchée tout habillé de boue et de vermine.
C’est son tour. Il doit aller chercher de l’eau vingt mètres plus loin. Vingt
mètres de terreur, de boue, de sang c’est très loin. Des racines serrent ses
godillots béants, la peur lui tord le ventre, ses bidons vides sont lourds. Enfin voilà le chant de l’eau qui
court. Bientôt il y sera à cette source d’eau miraculeusement claire et vive à
l’orée de cette forêt nue. A la source il a vu une silhouette. A la forme du
casque il a su que c’était l’ennemi, comme lui armé, comme lui terrifié, comme
lui obligé, bon à tuer. Envie de se coucher, de poser ses bidons. Il fait un
pas de plus, il s’arrache de la boue encore un pas de plus. Il voit le visage
de l’homme, il y lit sa mort. Mourir ce jour de noël. Oui, ça va se passer comme ça. Lequel des deux a, le premier, levé la main et
souri. Il ne savait plus bien mais moi je sais que c’était lui. Ce grand père
qui ne m’a pas donné son sang mais simplement son amour quotidien.