jeudi 7 novembre 2013

Un solitaire


Il passait toujours sur le trottoir d'en face. Tous les jours, matin et soir, presqu'à la même heure. Mes parents, qui connaissaient tout le monde dans le quartier, commerce oblige, ne savaient pas qui c'était. Il n'achetait pas de bonbons dans notre confiserie.

J'avais six ans, huit ans, dix ans, il passait toujours. Tout seul. Casquette sur la tête, été comme hiver, baguette à la main, ou journal.

Dix ans, la liberté me venait. J'ai eu le droit de traverser la rue, seule. Je l'ai d'abord suivi, d'un peu loin, sur quelques mètres. Et puis je rentrais, ébahie de ma hardiesse.

Un jour, il a stoppé net, s'est rerourné, un grand sourire au visage. Alors, petiote, on veut faire connaissance? Tu t'intéresses à un vieux bonhomme comme moi? Ca me fait plaisir de te voir, je n'ai jamais eu d'enfant. J'apercevais mon père qui me surveillait du coin de l'oeil, sur le pas de sa boutique. Il n'avait pas l'air fâché.

Je me suis enhardie, on a parlé, de tout, de rien, de ma collection de timbres. Dès le lendemain il en avait trois ou quatre dans la poche, qui venaient d'un pays que je ne connaissais pas. Mon père m'a dit: C'est en Afrique, tu vois bien que cet homme est un africain, un noir, quoi. Ah bon? Je n'avais pas remarqué. Je ne voyais que son sourire et ses grosses mains avec lesquelles il se frottait souvent le crâne, en soulevant sa casquette.

L'Afrique, vraiment, vous venez d'Afrique? Ah, petite, moi non, je suis né ici, à Paname. Mes cousins sont là-bas. Et toi, tu as des cousins... Chaque jour on parlait plus longtemps. Quand je partais en vacances, c'était une joie, au retour, de le retrouver. Ca bien duré un an, deux ans, je ne savais pas où il habitait.

Un jour il n'est plus passé, personne n'a pu me renseigner dans le quartier. Mon père m'a juste dit: Il était très vieux.