jeudi 7 novembre 2013

Vengeance


Madame,

J'ai passé mes sept années de lycée à rêver du jour où, bac en poche, je pourrai enfin vous écrire ma colère, ma rancune et ma rage.

Vous étiez prof et vous ne vous souvenez pas de moi, vous avez vu passer tant d'élèves sur lesquelles, il n'y avait que des filles, vous avez pu exercer votre sadisme.

J'étais sage, timide, et sans doute pas très douée pour la langue que vous enseigniez. Je n'ai pas eu de chance, à la loterie de l'attribution des classes, chaque rentrée, pendant sept ans, je me suis retrouvée votre élève et votre souffre-douleur. C'était bien avant Mai 68, les étudiants n'avaient pas de délégués et les parents pas leur mot à dire.

J'ai eu mon bac, malgré tout. Vous traversiez alors une passe difficile et j'ai pensé que cela suffisait à assouvir mon désir de vengeance. Je ne vous ai pas écrit cette lettre ouverte que vous méritiez.

J'ai eu tort puisque quarante-cinq ans après j'y pense encore. Vous n'êtes peut-être plus de ce monde, et je ne saurais où vous joindre, mais l'atelier d'écriture où je me trouve ce soir me permet d'exprimer ma haine.

Vous m'avez brisée, Madame, et je ne suis sans doute pas la seule. Je me réjouis de tout le mal qui a pu vous advenir par la suite.

Moi, j'ai eu une vie plutôt heureuse. Mais je ne suis jamais allée en Angleterre, je ne me souviens d'aucun mot d'anglais, même pas le mot "liberté".

Ca m'a manqué.