mercredi 1 avril 2020

2 décembre 1959, 21h13


Des jours et des jours que la pluie tombe sur Fréjus et sa région.

Des pluies comme on en connait au bord de la Méditerranée, à l'automne.

Là c'est tellement long, tellement puissant, il faudrait que ça cesse.

Le barrage de Malpasset, sur le Reyran, mis en eau cinq ans auparavant, est-ce une bénédiction pour l'irrigation de cette région agricole si sèche en d'autres saisons, une prouesse technique, ou une menace pour toute la vallée?

Le niveau de la retenue a terriblement monté ces derniers jours.

Mais les techniciens, n'est-ce pas, savent ce qu'ils font.

Les habitants refoulent leurs craintes, ils vivent.

Mercredi 2 décembre, à 21h 13, c'est la veillée dans les maisons il fait froid, chacun est emmitouflé, ceux qui ont de la chance regardent la télévision, la Piste aux étoiles, sur la chaine unique.

Un bruit gronde dans le lointain, semant l'inquiétude: le barrage, est-ce le barrage?

A 21h35 toutes les lumières s'éteignent, privant les enfants restés devant leur écran des prouesses de leur clown, Achille Zavatta.

On sort, on s'interpelle une dernière fois, on crie sa terreur et en quelques minutes la vague est là, haute de dix mètres, dévalant les rues, abattant les murs.

Les hurlements trouent la nuit, et puis s'éteignent un à un.

On n' a rien ressenti, on n'a pas eu le temps.

Les maisons s'effondrent, l'eau passe, devient boue, rase tout sur son passage.

Et puis le silence hébété des survivants, échoués ça et là, vêtements arrachés.

Sentiment d'isolement complet quand plus aucun cri ne se fait entendre.

L'eau s'étale, s'écoule vers la mer, drainant toits, murs, meubles, cadavres...

Il faudra des heures pour rassembler les survivants à l'hopital, des jours pour savoir ce qu'il en est des proches, pour apprendre désespéré qu'on n' a plus de père, plus de mère, d'enfant, d'oncle, d'amis.

423 morts seront pleurés indéfiniment par des survivants qui ne s'en remettront jamais.

La vie va reprendre pourtant. A l'école, en janvier, dans les classes, manqueront la moitié des élèves.

On peut aller en pélerinage voir les blocs du barrage laissés en place pour la mémoire, les automobilistes indifférents peuvent les apercevoir de l'autoroute.