C'était mon meilleur copain depuis la première année de maternelle. Ce matin là, il est venu me dire au-revoir. Nous n'entrerions pas au CM1 ensemble. Théo déménageait, il partait et cela me rendait très malheureux. C'était la première fois que j'étais séparé d'un être cher, j'avais du mal à l'accepter. Mon chagrin était mêlé de colère, j'avais tellement mal que j'avais l'impression que j'allais me briser. Nous nous sommes serré la main pour faire comme les "grands". Théo allait partir! J'ai agi sous une impulsion totalement incontrôlée peut-être pour ne pas pleurer. Nous étions dans l'entrée de la maison, il y avait un vase bleu pâle décoré de motifs floraux posé sur une console, je l'ai saisi et je l'ai jeté violemment au sol où il a littéralement explosé. Stupéfait, j'ai regardé les morceaux éparpillés puis j'en ai ramassé deux qui, rapprochés l'un de l'autre reformaient le dessin d'une fleur. J'en ai donné un à Théo, j'ai glissé l'autre dans ma poche. J'ai fait promettre à mon ami qu'il le garderait toujours en souvenir de notre amitié à la vie à la mort.
Théo parti, ma mère alertée par le bruit est arrivée. Il y a eu des cris, des larmes, des lamentations. C'était un souvenir de son voyage de noces, je crois qu'elle ne m'a jamais pardonné.
Le temps a passé, je n'ai pas oublié mon ami, le morceau du vase bleu m'a suivi partout où j'ai traîné ma carcasse.
Il y a quelques mois, j'ai retrouvé la trace de Théo sur Facebook. Je l'ai contacté et, à l'occasion d'un déplacement à Paris, je l'ai retrouvé à la terrasse d'un café. J'étais ému, fébrile comme pour un rendez-vous amoureux. J'ai eu du mal à reconnaître mon copain dans le gros bonhomme sérieux que j'avais en face de moi. Après que nous ayons échangé quelques banalités, j'ai posé le petit morceau de vase bleu sur la table. Qu'est-ce que c'est? m'a demandé Théo surpris. Je lui ai rappelé notre pacte, il ne s'en souvenait pas, ne savait pas ce qu'était devenu son morceau de vase et s'est gentiment moqué de moi. Je venais de perdre mes illusions et un ami.
