mercredi 15 avril 2020

A la fenêtre

Aujourd’hui, par la fenêtre, le ciel est gris. Je vois à peine la mer. Elle ne va se confiner elle aussi.
Elle a fermé ses volets côté terre, elle ouvre sur les fonds, ils sont plus vivants en ce moment. Elle parle aux baleines, aux calamars, il parait qu’ils sont plus intelligents que nous. Le spectacle doit être éblouissant, j’aimerai qu’elle m’invite mais c’est à plus d’un kilomètre, je rêve.

Ce matin, par la fenêtre, le paysage ne change pas. Les îles du Frioul, une petite vue sur mer, le clocher des Sts Anges, des habitations, des arbres, les cyprès immuables été comme hiver, indifférents à tout. Que nous soyons agités ou confinés, ils se dressent vers le ciel dans leur habit vert.
Un seul élément absent, les bateaux de croisières qui quittent le port au petit matin et me cachent les rochers, plus le panache de leur fumée. Des villes sur l’eau. On ne sait pas s’ils repasseront un jour ou s’ils resteront à quai comme le paquebot sur lequel je navigue dans ma tête.

Un jour, par la fenêtre, j’ai vu quelques enfants jouer, leurs rires montent vers moi, la vie reprendrait elle ? Les oiseaux se cachent, la normalité ? Ils ne vont tout de même pas croire que tout l’espace leur appartient ! Il faut qu’ils partagent. Ils ne vont pas croire que tout s’efface chez les humains.
On dirait que tout s’efface…

Jeudi matin par la fenêtre, mon bol à la main, je constate que les fenêtres en face sont ouvertes, je ne suis pas matinale, pas grave, ils sont loin ces voisins et je ne vois qu’une silhouette de temps en temps, l’homme à la cigarette.
A cette heure -ci, le jogger au maillot jaune fluo passe à petit trot, un tour, deux tours, il me fatigue. Je retourne dans mon fauteuil d’où je me baigne dans la canopée et le ciel bleu rayé de passage de mouettes.
Je n’ai jamais bien compris le jogging, chacun sa drogue.

Le soir, par la fenêtre, le plus beau, c’est le ciel. Je n’ai pas de vocabulaire pour décrire une telle beauté. C’est un spectacle, le coucher du roi soleil. Il s’entoure de nouvelles parures tous les jours, quelle garde robes !
Il ne s’occupe pas de savoir ce qui nous préoccupe sur terre. Il nous regarde tourner, se fait admirer. Il s’approche il parait, dans quelques milliards d’années, il doit nous avaler.

Dans la journée, par la fenêtre, je ne me penche pas par la fenêtre, la vue des voitures sur le parking, pas terrible. Je laisse monter les bruits. Il y en a moins en ce moment, les voix portent plus dans ce silence quand de temps en temps des habitants osent se parler. Le bruit des pas résonne, étonnant, je ne l’avais jamais remarqué. Les perruches sont toujours là mais une mésange pousse aussi son chant. On entend mieux le clocher de l’église, il égrène les heures qui passent.
Elles passent les heures, elles passent…

Cet après- midi, par la fenêtre, l’arbre de Judée perd sa parure rose. Voici le mois de mai où les fleurs volent au vent….Encore Avril mais le printemps avance.
 Une petite pluie, un bonheur cette odeur de terre mouillée, pas assez pour faire lever les semis.
Je me sens spectateur de cette renaissance, la fenêtre a mis une barrière, je ne fais plus corps avec la nature. Une heure pour me fondre dans un peu de vie sous les glycines et les marronniers, c’est peu, je ne sens pas monter la sève de tous mes sens.
Depuis ma fenêtre, je pense à mes petits- enfants, j’espère qu’ils retrouveront la joie de se rouler dans les champs.